Lycéens et apprentis au cinéma en Normandie

L’Atelier critique propose aux élèves de Normandie de publier des travaux critiques dans le cadre de l’opération Lycéens et apprentis au cinéma en Normandie. Articles, débats audio, critiques vidéo et créations graphiques sont mis en ligne par les enseignants inscrits afin de permettre aux élèves de partager leur expérience de spectateur et de mettre en débat leurs réflexions sur les films.

Sentiers de la gloire

Stanley Kubrick - Etats-Unis - 1957

Critique publiée par Gabytpn - le 19/12/2017
Premiere S2, La Morandière ,
Granville

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Les Sentiers de la gloire, de Stanley Kubrick

Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick est un film de guerre américain, remarquable, paru en 1957. Il présente un événement scandaleux qui a eu lieu au sein de l’armée française durant la Première Guerre mondiale. Le réalisateur utilise une mise en scène spécifique grâce à ses différents personnages, une façon de filmer et une bande son atypique, afin de faire passer son message de dénonciation contre l’absurdité et de la violence des méthodes utilisées par les chefs de guerre et par la haute hiérarchie militaire durant la première guerre mondiale.

Premièrement, Stanley Kubrick nous présente des personnages haut placés, mauvais, terribles, atroces et qui abusent de leurs pouvoirs. On peut tout d’abord prendre l’exemple du général Mireau, joué par Georges Macready. L’opération lancée par ce général s’est révélée être une véritable catastrophe se traduisant par une lourde perte de soldats. Ce dernier, se rend compte qu’une partie de sa troupe n’est pas sortie des tranchés. Il ordonne alors de tirer sur ses propres troupes pour les forcer à attaquer. Bien heureusement, cet ordre est refusé par l’officier d’artillerie. Ne souhaitant pas avouer le fait que cette opération s’est déroulée sans aucune stratégie, Mireau accuse ses soldats d’avoir fait preuve d’antimilitarisme, de « lâcheté devant l’ennemi », et prend donc la décision de faire exécuter des soldats pour « montrer l’exemple ».
L’autre exemple peut être celui de l’officier en charge d’une troupe de soldat durant une autre opération, qui a fait preuve, lui-même, de lâcheté en laissant ses deux hommes seuls sur le front adverse, après en avoir tué un en lançant une grenade. Lorsque le général Mireau demande à chaque chef de troupe de désigner un soldat qui sera condamné à mort, cet officier choisit le soldat qui l’a vu partir lors de cette dernière opération, de peur d’être dénoncé.
Ensuite, nous pouvons remarquer la figure du général Boulard, joué par Adolphe Menjou. C’est ce général de division, qui incite et manipule insidieusement le générale Mireau (général de brigade) de lancer une offensive sur une position allemande très solide, voir imprenable : « la Fourmilière ». Mais cette opération est mise en place sans aucun renfort, sans aucune stratégie, ni aucune préparation. Et ça, le général Boulard le sait au fond de lui.
Puis, face aux personnages cruels que sont le général Boulard, le général Mireau et l’officier, le réalisateur met en scène un personnage révolté, qui fait figure du bien, et qui s’oppose aux injustices et aux figures autoritaires de ce film : le colonel Dax, joué par l’acteur Kirt Douglas. Il est responsable du régiment envoyé sur le front. Il va tout d’abord refuser d’accomplir cette mission suicide, mais sera forcé d’accepter. Durant l’attaque, il est conscient des nombreuses pertes de cette opération et décide de se replier. Plus tard, quand le général Boulard et le général Mireau proposent d’exécuter 3 soldats pour montrer l’exemple, le colonel Dax tente en vain de repousser cette initiative barbare. Il se porte garant pour être l’avocat de ces trois soldats innocents. Malheureusement, il ne parvient pas à faire changer d’avis les juges. Les soldats seront donc fusillés le lendemain.
Pour finir, Stanley Kubrick nous expose trois personnages innocents, les soldats utilisés comme des pions durant la guerre. Le soldat Ferol (joué par Timothy Carey), le soldat Arnaud (joué par Joe Turkel), et le colonel Paris (joué par Raph Meeker) vont subir une injustice plus qu’inhumaine et atroce, car ils vont finir exécutés « pour l’exemple ». Or, ils ne sont pas plus responsables que les autres soldats et encore moins comparés à leurs supérieurs. Ils vont mourir dans la peur et les remords. Ils nous présentent ces soldats traités comme des animaux pendant cette atroce guerre.

En second lieu, Stanley Kubrick utilise, dans son incomparable film, une façon de filmer bien particulière. Le début du film, juste après le générique, commence sur un mouvement de caméra pour montrer les troupes qui accueillent un gradé dans un château, pendant que la voix-off retrace le contexte historique. Mais alors que cette voix off évoque des combats acharnés et des morts par milliers, on ne voit pas la guerre, mais un château et des généraux dans un salon. Cela crée un décalage. Le message peut donc être perçu dès le début du film. Il y a une forte opposition entre les hauts gradés, à l’arrière, et les soldats, dans les tranchés, sur le front.
Parlons justement de ces soldats et des tranchées. Ce lieu est pour la première fois présenté quand le Général Mireau vient parler de l’offensive sur la Fourmilière. Ce dernier est filmé en contre-plongée et en travelling, avec des arrêts quand il s’adresse aux soldats. Puis, plus tard, après la gifle mise par le général à un soldat traumatisé par la violence de la guerre et probablement devenu fou, le travelling continue en filmant Mireau, de dos : la caméra est au niveau des personnages. La scène se termine dans l’abri, "logement" de Dax, sombre, sous terre, où le colonel est dévêtu, penché sur une bassine d’eau. Cette scène fait une antithèse à la scène d’ouverture au château dans la lumière et le luxe.
L’avancée de Mireau dans les tranchées est à mettre en parallèle avec celle où Dax avance lui aussi dans la tranchée juste avant l’assaut. Elles peuvent paraître filmées de la même manière (travelling) mais il y a des différences très importantes dans la mise en scène qui engagent des visions, des points de vue opposés. En effet, quand Mireau est filmé, on ne voit que lui. Il est filmé en contre-plongé, c’est-à-dire d’en dessous. Il paraît donc supérieur. Cela montre bien qu’il ne pense qu’à lui et sa réputation. De plus, Mireau ne voit pas réellement les soldats, ils ne sont pour lui que des silhouettes. Au contraire, quand Dax marche dans les tranchés, la caméra filme ce qu’il voit. Son regard devient notre regard. Cela nous montre que le colonel Dax ne pense pas qu’à lui. Il pense aussi à ses pauvres soldats qui souffrent jour et nuit. Il comprend leurs peurs.
Une autre scène est très importante dans ce film et c’est l’une des plus longues : la scène du procès et de la sentence. Le décor mis en place par Stanley Kubrick présente un grand château lumineux. Perpendiculairement au mur qui éclaire la scène, deux lignes se font face avec les juges d’un côté et les accusés, de l’autre, gardés par des soldats placés derrière eux. De chaque côté, Mireau, installé de façon nonchalante dans un canapé et, à l’opposé Dax, le défenseur, devant une petite table. Il y a des plans larges, en plongée, permettent de souligner la rigueur militaire.
Puis, durant la scène de l’exécution, on a de nouveau un long travelling devant Ferol et le curé présent pour accompagner la douleur du soldat. Pendant cette exécution, Broulard et Mireau sont filmés ensemble, en contre-plongée, alors que Dax est filmé seul, en plans rapprochés, dans l’axe.
La dernière scène du film est très significative et très symbolique, et vient élargir le propos du film. Alors que Dax regagne son quartier, il entend les cris des soldats qu’il commande et s’approche. Sous son regard, on voit les soldats chahuter une jeune femme, prisonnière allemande, présentée dans le seul but de distraire.
Puis on voit les soldats gagnés par l’émotion en écoutant la berceuse chantée en allemand par la jeune femme. Certains pleurent : sans doute pensent-ils à leurs sœurs, leurs femmes, leurs mères, qui sont évoquées auparavant par Mireau lors de sa visite de la tranchée. Ensuite la jeune femme est de dos devant les soldats quand ils commencent à changer d’attitude, puis il y a une suite de gros plans sur les visages.
Il y a alors une fraternité symbolique qui met en avant la stupidité de la guerre. Les soldats redeviennent des enfants. C’est alors qu’on perçoit l’humanité des soldats. Dans les tranchées, avec les combats et la souffrance, les hommes revenaient à une sorte d’état animal, sauvage, mais c’est à cet instant que l’humanité de chacun ressort. Et pourtant, ils doivent retourner au front et c’est le sous officier responsable de l’exécution qui l’annonce à Dax. Cette scène est particulièrement émouvante, et vient encore enrichir le film splendide de Stanley Kubrick.

Stanley Kubrick utilise une bande son particulièrement marquante pour faire passer son message. Gérald Fried est le compositeur de la musique du film, une musique, quand elle est présente, particulièrement réussie. Le film est en majeure partie silencieux. Un silence de mort, lourd de sens, omniprésent moins pour des raisons techniques que par volonté de dramatiser cette injustice. Lorsque la musique intervient, c’est pour accompagner sèchement la tragédie ou au contraire l’amplifier et la dénoncer par des contrastes musicaux saisissants. Gerald Fried a composé une musique militaire, qui appuie le drame. On entend aussi très souvent, dans les scènes qui ont lieu dans les tranchées ou sur le front, les bruits des obus et des tires de canons. Cela nous permet presque de nous mettre dans les conditions réelles, dans la peur et l’angoisse de mourir. La scène de l’offensive vers « la Fourmilière » est amplifiée, accentuée par le bruit incessant des obus. Les images sont d’une part choquantes, mais la musique ne fait qu’augmenter cette angoisse que nous ressentons, et qu’ont dû ressentir tous les autres soldats. Une autre scène du film fait contraste aux scènes de combats, c’est la scène de la valse, symbole de l’élégance et du bonheur, qui accompagne les pas de danseurs, indifférents au drame qui se déroulera le lendemain, accentuant par contraste l’horreur de cette tragédie.
Le film s’achève avec une chanson allemande, chantée par la prisonnière allemande, interprétée par Suzanne Christian. Lorsque la jeune fille apparaît, les soldats rient et se moquent d’elle comme d’une bête de foire. Puis, lorsque son chant, plein de larmes retentit, les soldats (véritables "brutes épaisses") se calment, écoutent, comme bouleversés par le drame qu’elle subit elle aussi, alors que cette guerre n’est pas la sienne. Puis les soldats reprennent en chœur la chanson. Kubrick utilise ici la musique douce afin d’achever la thèse de son film : démontrer l’absurdité de la guerre en faisant contraste avec la douceur. La musique est clairement ici un chant de communion, un hymne de réconciliation. La bande son est une vrai réussite, elle aussi.

Pour conclure, Stanley Kubrick dans son excellent film Les sentiers de la gloire, chercher à dénoncer de façon très habile la stupidité des méthodes utilisées par la hiérarchie militaire. Pour ce faire, il nous présente trois types de personnages représentés par trois figures différentes : la figure du mal et de la cruauté, représentée par la hiérarchie, les généraux et certains officier ; la figure du bien, par le biais d’un personnage révolté face aux injustices, qui ne pense pas seulement à lui contrairement à ses supérieurs, mais aussi aux soldats qui souffrent en silence ; et enfin, la dernière figure, celle qui subit les injustices sans raisons, les soldats qui en viennent à être traités comme des animaux ou comme des pions. Nous pouvons rajouter que le jeu des acteurs est brillant. Ensuite Stanley Kubrick utilise une mise en scène qui nous mène à la réflexion. Il fait se répondre les scènes pour créer un décalage entre le monde des personnes haut placées, face aux soldats dans les tranchées, qui vivent dans la promiscuité et dans la souffrance. Enfin Stanley Kubrick renforce ses arguments grâce à une bande son qui se veut choquante, marquante, blessante mais aussi touchante et émouvante. Ce film est une prouesse de son époque. C’est un film à voir pour ne pas que se reproduisent les horreurs de la Première Guerre mondiale.