Lycéens et apprentis au cinéma en Normandie

L’Atelier critique propose aux élèves de Normandie de publier des travaux critiques dans le cadre de l’opération Lycéens et apprentis au cinéma en Normandie. Articles, débats audio, critiques vidéo et créations graphiques sont mis en ligne par les enseignants inscrits afin de permettre aux élèves de partager leur expérience de spectateur et de mettre en débat leurs réflexions sur les films.

Le Havre

Aki Kaurismäki - France - 2011

Critique publiée par BreizhCoco - le 23/05/2016
Seconde 502 / Le Verrier, Concours Saint-Lô,
Verrier/Curie/Follain

Note de la classe (0 vote)


Nombre de visites : 100

Le Havre, ou un regard original sur notre monde et le cinéma

Dans le port de la ville un jour est ouvert un container chargé de migrants africains. Le premier contact au monde occidental est brusque pour l’un deux, Idrissa un jeune garçon qui sans dire un mot, file au nez de la police. Son seul espoir désormais de quitter la cité portuaire pour Londres où vit sa mère réside en la bonne volonté de Marcel Marx ,un vieux cireur de chaussures subsistant près de sa femme malade dans des quartiers d’un autre temps.
Et si la manœuvre paraît risquée à cause de l’incessante oppression des forces de l’ordre menées par l’inspecteur Monet, Marcel fera tout son possible pour réconcilier son univers avec des valeurs de solidarité perdues en menant le jeune garçon outre-manche.

Ainsi le contexte de le Havre est posé. Bien que de prime abord il ait l’air d’un mauvais produit de propagande de la dictature de la bien-pensance, on se rend vite compte que ce film a quelque chose de particulier.

Il véhicule en réalité une vision pessimiste de la réalité, tous les côtés positifs de cette dernière étant sans cesse déformés et exagérés pour donner des allures d’utopie à l’univers narratif du long-métrage. Dans le « conte » de Kaurismäki, la modernité, violente et massive, incarnée par la police, côtoie les plus vieilles facettes d’une ville pourtant très jeune confrontée à des problèmes intemporels : la misère et les crises migratoires. Des affaires qui devraient dans tout film « moderne » instaurer une tension qui ne se retrouve aucunement dans le jeu des personnages, énonçant lentement des dialogues semblables à des échanges parodiques de comédiens en herbe sur une scène.

Ainsi, le réalisateur remet en question le cinéma hollywoodien et véhicule ses opinions politiques concernant la violence de la police (seule force dynamique et violente du film face à un rythme globalement lent) tout en créant une identité unique à son film. Une œuvre qui se veut différente et qui forcément n’attira pas les foules par son suspens et sa tension mais par son originalité et sa subtilité à la manière des autres long-métrages d’Aki Kaurismäki.

Si le film ne plaira pas qu’à un public averti et habitué, il est vrai que la parodie des standards actuels qu’il effectue pourrait ne pas plaire à tous les spectateurs, du moins pas au premier visionnage. Pourtant le spectacle présente des qualités indéniables du début à la fin :

L’esthétique du film est encore une fois ancrée dans les années 70 et le passé en général dans la continuité de la filmographie de Kaurismäki. En plus de contraster avec la modernité prétendue de la ville et d’ainsi créer un décalage commun à l’ensemble du film, le choix de représenter des décors du passé dans un film de l’époque actuelle renvoie aux valeurs et aux mentalités de l’époque confrontés avec la rudesse de la police. Le décalage se retrouve aussi avec la manière de filmer qui est caractérisée par une caméra qui glisse sur le sol ciré pour capturer des plans presque fixes. Ces choix accompagnent parfaitement la narration, elle aussi porteuse d’un message :

Une fois de plus, Aki Kaurismaski diffuse ses idées avec brio avec des personnages aussi marginaux qu’attachants : des étrangers, des misérables, des gens enfermés dans leur époque révolue. Ce choix ne fait que renforcer le propos du film : ces personnes exclues ou éloignée de la société actuelle sont les seuls à véhiculer des valeurs positives telles la solidarité ou encore la transmission à la jeunesse. Encore une fois sur ce point le contraste est flagrant avec les standards des champions du box-office et leurs héros parfaits à la vie inspirante et impressionnante . Rien de cela du côté du Havre, où Marcel retrouve au bar une vieille veuve de truand, un immigré Vietnamien, un chanteur de groupe de rock des années 70 contrarié dont le passé a été depuis longtemps oublié dans l’alcool pour noyer l’avenir dans une vision morose.

Tous sont retranscrits sur le même plan sous la bannière du réalisateur finlandais pour faire passer un message d’espoir face aux forces obscures de l’autoritarisme et du nationalisme…. Un message qui pourrait être aussi bien cynique dans un univers baignant dans une ambiguïté utopique qui fait le charme de l’oeuvre et de toute la filmographie d’Aki Kaurismäki.